jeudi 3 février 2011

Une pièce de théatre pour deux acteurs et un accessoiriste


Le sens de la vie ou le seigneur des mouches.





La pièce est, un, sensée,oui, censée, sans C... se dérouler dans une école d’arts martiaux perdue dans les montagnes du Tibet. Le décor restera le même, un lieu obscur au mobilier très dépouillé par la Chine populaire, où l’on aperçoit quelques armes, des livres, une table basse et une tenture de chaque côté de la scène. On pourra aussi ôter tout décor ou accessoire si l’on joue en plein air, dans une école, une MJC ou une salle d’art et d’essai subventionnée.
L’avant scène sert de fenêtre pour les acteurs et le public, s'il y en a....


Deux personnages : Le maître... en tenue de Ninja noir masqué, armé d’un bâton long. Accent chinois de comédie. Dissimule un béret basque dans une poche secrète, qu’il utilisera (le béret, et par voie de conséquence, la poche secrète) dans la troisième scène.
L’élève, vêtements en lambeaux petite besace, pieds nus, mal coiffé, l’air un peu niais.


Scène 1


Le maître (Assis en tailleur, il murmure une sorte de « Om.... »)
Qui ose déranger ma méditation ?
L’élève Maître, j’ai parcouru le monde pour te rencontrer et connaître les secrets de ton art.
Je suis venu calme orphelin, riche de mes seuls yeux tranquilles, vers les hommes de grandes villes, ils ne m’ont pas trouvé malin…
(Silence cérémonieux)
Maître, quel est le sens de la vie ? Pourquoi tant de haine ? Quelle est la vraie recette du cassoulet ? Pourquoi faut-il que Dugros se décarcasse, et pourquoi quand je pense à Fernande…
Le maître Tais-toi bâtard de pourceau et de chamelle lubrique. Tu jacasses comme un ministre ! Tu veux connaître le sens de la vie ? Approche.
(Il rosse l’élève. Coups ponctués hors scène par des coups de gong)
Tiens crapaud souffreteux, sperme de cafard, vomi de tortue, hamburger de Mac-Do ! Retournes parmi les hommes et ne reviens pas avant dix ans.
(Sortie de l’élève. Le maître se tourne vers les coulisses)
Et toi tu arrêtes de faire le gong.









Scène 2

(Le maître est assis un grimoire ouvert devant lui, il entend du bruit se lève d’un bond et remonte son pantalon, il dissimule une revue pour hommes dans le grimoire qu’il referme sèchement)


Le maître Qui ose déranger ma mastur…ma méditation ?
L’élève Maître je reviens humblement vers toi, après avoir longuement médité et… j’ai une question à te poser.
Le maître Oui ?
L’élève Qu’est-ce que la réalité ?
Le maître Tu veux connaître la réalité ? Hum !... Regarde à la fenêtre. (Il prend l’élève par l’épaule, approchant de l’avant-scène) Vois-tu ce tas de fumier tout en bas dans la cour ? Et bien vas le rejoindre, (il défenestre l’élève puis crie à la cantonade) hémorroïde, scrofule, anthrax, fonctionnaire. Ne reviens pas avant dix ans.
Hum, j’y ai été un peu fort, il a roulé jusqu’à la falaise.
Saloperie, je me suis cassé un ongle !
(S’adressant aux coulisses)
Alors on ne fait plus le gong ?


Scène 3

(Le maître semble méditer en marchant, il murmure le Om. L’élève entre et l’imite en s’avançant vers lui. Puis ils suivent une mouche des yeux en murmurant toujours. Ils claquent des mains et le bourdonnement cesse en même temps)


L’élève Maître, je suis revenu.
(Silence)
Le maître Ah, oui, je n’en reviens pas.
As-tu une question à me poser ?
(Silence lourd de sous-entendu)
Je vois que tu as compris mes leçons.
(Il prend l’accent du midi en se démasquant et s’enfonce un béret sur la tête, tout en contournant l’élève qui lui faisait face et le prend par l’épaule, non sans quelque inquiétude de l’élève)
C’est bien fils, je vais tout te dire. Vois-tu il y a très longtemps je suis arrivé à pied par la Chine…
L’élève Ça doit être pénible, maître !
Le maître Tu peux le dire ! Ce fut long, douloureux et je n’en sortis pas bien propre, mais baste !
L’élève Mais, maître, vous avez changé de voix !
Le maître Oui, j’ai du faire un détour à cause de la muraille de Chine. Té, que j’en ai encore le sang qui bout. Ici les gens m’appellent le bienheureux qui fait un grand fracas quand il ouvre la bouche.
L’élève Et comment ça se dit en tibétain ?
Le maître Félix Potin. Mais mon vrai nom c’est Célestin Brincoquin et je viens de Sète.
Et toi, quel est ton nom, d’où viens-tu ?
L’élève Je suis venu calme orphelin…
Le maître Arrête de faire le poète si tu ne veux pas que les claques sonnent.
L’élève Je m’appelle Gaspard Peticaboulos et je viens de Crète, pour te servir, ô, maître.
Le maître (Ironique) Ô, maître, ô maître ! Et dans ces lieux tu étais géomètre ?
L’élève (Surpris puis dubitatif) Non, ni lieux, ni mètres.
Le maître Alors tu servais dans un bar au mètre ?
L’élève Non, j’étais sacristain ! Enfin, c’est moi qui tirais les cloches. Un jour m’est apparu l’ange qui attendait son heure au fond du clocher, c’était l’ange élu. Il était d’une toque ceint, il était toqué. Comme il ressemblait à une femme ! Ah la mâtine ! Je me suis dit dans ce cas rions avec elle ! Et comme je l’attirais dans le clocher (Exalté), sonnez hautbois, résonnez musettes. Quelle musique ! Oui mais céleste ! C’était la voix du pope.
Le maître De la Pop Music ? Ah bon, je connaissais la voix de son maître, mais ça…
L’élève Non c’était la voix du pope qui hurlait « Mais qu’est-ce que vous faîtes? Quoique j’ai ma petite idée !  Il y a quelque chose qui cloche, jamais vu des battants pareils. Je veux voir ça de plus près ! » Je me suis fait tirer les cloches. Ça m’a filé le bourdon et puis j’avais les grelots. J’aime les choses qui sont nettes, je suis parti le soir même, à la cloche de bois.

Le maître Mais j’en oublie tous mes devoirs. Assieds-toi le crétois. Fais comme chez toi, chez moi, le sétois. Crois-tu que c’est étroit ? Peut-être si on était trois ! Hé, comme tu me suis en têtu crétois que tu es. Où était-tu ? Assieds-toi. L’es-tu têtu ! Et comme je suis sétois dans mon petit chez moi et que nous sommes à tu et à toi, est-ce que tu es sans toit ? Car c’est moi, l’ascète sétois qui te dis, qui que tu sois, tu n’es plus sans toit. Tu me suis, Oh, le sais-tu ? Il s’est tu ! (Stupeur de l’élève)
Oui je comprends ton émoi, quand c’est moi, l’ascète sétois, qui te dit assois-toi !
(L’élève perd pied et agite les bras, l’air désespéré)
Ah, tais-toi. Je te mets à couvert, tu n’es pas dans ton assiette. Faut pas en faire tout un plat. Tu ne vas pas me faire une cène.
(Très agité, l’élève est pris de tics)
Le maître Et tu étais un sacristain très craint, toi, le très crétin crétois. Je te crois pas c’est pas orthodoxe !
(Gestes convulsifs de l’élève)
Et tu t’es saigné aux quatre veines pour venir ici, si je t’en crois ! Car qui l’a cru s’y forme ! Tu ne serais pas astigmate ? Ah, sacré toi !
(L’élève se roule par terre, hystérique)
Le maître Voilà qu’il fait sa crise, tiens le sacristain. Ça doit être une crise de foi. Ça le fait des fois. Il faut leur répéter cent fois, méfie-toi ! La foi de dévot c’est fragile ! Ou bien cet entêté nous fait sa crise d’identité. Ah, que cet embêtant de n’être qu’ascète tibétain de cinq à sept et d’avoir un crétin qui n’est même pas de la famille comme fils spirituel.
(Il tend une bouteille de pastis à l’élève qui se reprend en buvant d’un trait)
Alors maintenant il va falloir que je te donne un nom secret.
(L’élève s’illumine)
Je t’appellerais, je t’appellerais… Eh, je t’appellerais quand j’aurai besoin de toi, Crétinos.
Écoute attentivement maintenant... je vais te livrer le grand secret.
Félix qui potuit rerum cognoscere causas, putain, con !
L’élève Maître, quelle est cette langue étrange ?
Le maître C’est du patois provençal. Ça veut dire « Heureux celui qui connaît le sens caché de la nature, couillon.
(L’élève psalmodie en marmonnant, tentant de se rappeler vainement, tandis que le maître ponctue les mots Heureux… couillon, plusieurs fois, puis silence et de nouveau : heureux…couillon)
Le maître Tu vois on va souvent chercher très loin une vérité qui est au fond de nous-même. Allez, fils, va en paix.
(L’élève s’éloigne en marmonnant heureux…couillon.)
Le maître Bon ce n’est pas tout ça, mais c’est l’heure du pastaga avé le grand lama ! Vé, mais c’est la fête des cerfs-volants aujourd’hui, il y en a partout dans le ciel ! Les cerfs-volants… les cerveaux lents… les cerveaux lents... heureux les simples d’esprit, le ciel leur appartient. Et les benêts volent. Té, ça va le faire rire le grand lama ! Les cerveaux lents, heureux les simples d’esprit, le ciel leur appartient. Et les benêts volent.

NOIR



Yvon Allain 1995